Les Gilets jaunes et la question démocratique
Le mouvement des Gilets jaunes ne cesse d’embarrasser le pouvoir, ses défenseurs et ses interprètes médiatiques privilégiés. Porté par des personnes entrées par effraction dans l’espace public, il met sur le devant de la scène des questions gênantes. Non pas qu’elles soient nouvelles, mais les gouvernants en ont perdu depuis longtemps les réponses. Ou plutôt, les institutions par lesquelles ils gouvernent se sont largement fondées sur le refoulement de ces questions, leur oubli. Hier, c’était la question de l’impôt, du juste prix des choses, des moyens de vivre décemment, de l’économie morale trahie avec fierté par le président de la République[1]. Aujourd’hui, c’est cette vieille question de la démocratie qui revient : pourquoi, au fond, faudrait-il que ce soit toujours les mêmes qui décident, ces professionnels de la politique, au langage en bois, aux jeux obscurs et au mépris du peuple affiché ? Pourquoi donc le peuple ne pourrait-il pas faire ses affaires lui-même, de temps à autre, au moins pour les choses importantes ? Refleurissent alors, à côté des revendications de justice économique, les propositions de justice politique : contre les privilèges des élu.e.s, pour un contrôle étroit par le peuple, et surtout pour le référendum d’initiative citoyenne (RIC).
Deux conceptions de la politique
Le référendum était l’une des multiples revendications du mouvement, c’est devenu en quelques jours son nouveau symbole, un aboutissement. Le samedi 15 décembre, alors que le mouvement est présenté comme s’essoufflant (il a bien plutôt été étouffé par une répression d’une ampleur inédite[2]), un texte est lu devant la salle du Jeu de paume. Les initiateurs du mouvement demandent que soit inscrit dans la Constitution le référendum d’initiative citoyenne. La machine médiatique alors s’emballe, donnant lieu à un déferlement d’agoraphobie politique, cette peur d’un peuple supposé inconstant, incapable et dangereux, un des multiples avatars de la haine de la démocratie[3]. A croire que tout le monde a oublié que lors de la dernière campagne présidentielle, pas moins de six candidat.e.s sur onze avaient promis la création d’un tel référendum, sans que cela ne fasse scandale. Oui mais voilà : la démocratisation, lorsqu’elle est octroyée par les professionnel.le.s de la politique, est acceptable. Qu’elle devienne revendication populaire, et la voici séditieuse. Pire, ne voit-on pas un député, François Ruffin, attribuer cette proposition, pourtant portée par le chef de son groupe parlementaire, Jean-Luc Mélenchon, à un certain Étienne Chouard, petite célébrité d’Internet aux amitiés sulfureuses, y compris à l’extrême-droite ? D’une proposition anodine noyée au milieu des programmes, le RIC devient le signe du fascisme en marche.
Il ne s’agit pas là d’une simple inconstance des médias et des politicien.ne.s. Si le RIC s’est imposé si aisément et si le conflit autour de lui a pris des proportions si grandes, c’est que cette polémique touche à quelque chose de fondamental. Elle est révélatrice d’un affrontement, présent de manière plus ou moins ouverte depuis le début du mouvement, mais qui a ses racines dans une histoire bien plus longue, entre deux conceptions de la politique. L’une, la politique partisane, est centrée sur la compétition électorale entre professionnel.le.s du champ politique pour accéder au pouvoir. Elle fonctionne par la production de visions du monde antagonistes (des idéologies), objectivées dans des programmes entre lesquels les citoyens sont sommé.e.s de choisir, sous peine de se condamner à l’invisibilité politique[4]. Cette conception partisane de la politique est en apparence hégémonique, ceux qui la refusent se trouvant rejetés aux marges de l’espace public. Elle est le sens commun, la manière naturalisée de penser la politique, de ceux et celles qui vivent de la politique partisane, les politicien.ne.s d’abord, mais aussi les salarié.e.s des partis, les journalistes politiques, les sondeurs, les chercheur.e.s en science politique dont l’auteur de ces lignes, tout un milieu social sinon homogène, en tout cas très peu représentatif, au sens statistique, de la population. Toutes ces personnes savent comment les institutions fonctionnent, qui est de quel parti et où ces partis se situent sur l’axe gauche-droite, bref ils maîtrisent les codes de la politique professionnelle. Et c’est à travers ces codes qu’ils interprètent toute la réalité politique, d’où leur obsession, depuis le début du mouvement, à le situer politiquement, c’est-à-dire à le faire entrer dans leurs schémas d’analyse issus de la politique professionnelle.
Mais le mouvement des Gilets jaunes, en particulier depuis que le RIC est devenu son cheval de bataille, a mis sur le devant de la scène une autre conception de la politique, que l’on peut qualifier de citoyenniste[5]. Elle repose sur la revendication d’une déprofessionnalisation de la politique, au profit d’une participation directe des citoyens, visant à faire régner l’opinion authentique du peuple, sans médiation. Le peuple, ici, est un peuple considéré comme uni, sans divisions partisanes, sans idéologies, une addition d’individus libres dont on va pouvoir recueillir la volonté par un dispositif simple, en leur posant une question, ou en tirant au sort parmi eux un certain nombre d’individus libres qui vont pouvoir délibérer en conscience. Il s’agit d’une politique du consensus, appuyée sur une conception essentiellement morale de la situation actuelle, avec d’un côté les citoyens et leur bon sens, et de l’autre les élites déconnectées, souvent corrompues, surpayées et privilégiées. Et de même que l’on ne peut comprendre les Gilets jaunes avec les seuls outils d’analyse de la politique professionnelle (sont-ils de droite ou de gauche ?), un.e citoyenniste n’accorde guère d’importance aux engagements politiques partisans : qu’importe à Chouard que Soral soit d’extrême droite, puisqu’il se dit contre le système oligarchique et qu’il partage ses vidéos ? Qu’importent aux Gilets jaunes que la « quenelle » soit un signe de ralliement antisémite si ça peut signifier l’opposition au système ? Bien sûr, les militant.e.s d’extrême droite qui participent au mouvement savent très bien ce qu’ils et elles font et politisent leur action dans un sens partisan[6] ; mais ce n’est pas nécessairement le cas des Gilets jaunes qui observent ces actions et peuvent tout simplement ne pas y voir de problème. La conception citoyenniste de la politique, par son refus principiel des schémas de la politique partisane, n’est pas seulement ouverte à la « récupération », terme clé de la politique des partis : elle cherche à être reprise, diffusée, réappropriée, par qui que ce soit. En cela, elle est bien plus ouverte que la politique partisane, elle n’a pas de coût d’entrée, pas de langage spécifique à manier, pas de jeu à saisir – elle est, disons le mot, éminemment démocratique.
La démocratie contre l’oligarchie
C’est cette question que le pouvoir n’arrive même pas à entendre : le mouvement des Gilets jaunes puise sa force dans la revendication démocratique. Alors que la politique professionnelle s’appuie sur la monopolisation du pouvoir par un petit groupe, une oligarchie, la politique citoyenniste entend, par le référendum, donner le pouvoir à n’importe qui, c’est-à-dire à tout le monde à égalité. C’est le sens qu’avaient les termes démocratie et aristocratie en Grèce antique, et qu’ils ont gardé jusqu’au XVIIIe siècle : la démocratie, c’est le règne du peuple agissant directement, ou bien par des citoyens tirés au sort ; l’élection, quant à elle, est la procédure aristocratique par excellence, elle donne le pouvoir à une élite[7]. Or le triomphe du gouvernement représentatif et de ses institutions, en premier lieu l’élection, s’est fait sur le refoulement de cette possibilité politique, sur l’oubli de ce que la démocratie pouvait vouloir dire, oubli renforcé par la récupération, pour qualifier le gouvernement représentatif, du vocabulaire de la démocratie. La politique démocratique s’est trouvée ainsi escamotée au profit d’une forme aristocratique de gouvernement, rebaptisée progressivement « démocratie représentative ». C’est pour cela qu’en temps normal, cette conception citoyenniste de la politique, refoulée, est peu audible – mais elle n’a jamais entièrement disparu. L’aspiration démocratique refait régulièrement surface, en 1848, en 1871, en 1936, en 1968, en 2018, chaque fois qu’a lieu un mouvement de contestation générale des gouvernants et de leur jeu, au nom du peuple. Et chaque fois, les cadres d’analyse manquent aux professionnel.le.s pour comprendre ce qui a lieu, eux qui vivent par et pour le refoulement de ces aspirations démocratiques. Le mouvement des Gilets jaunes donne donc à voir une possibilité claire : déprofessionnaliser la politique, aller vers un règne des citoyen.ne.s, au nom de l’idéal qui forme désormais le sens commun du plus grand nombre, la démocratie.
Face à ce mouvement citoyenniste, qui ira défendre la vieille politique, celle des partis et des élu.e.s ? A part ceux qui sont payés pour, gageons qu’il y aura peu de monde. C’est que la politique partisane se trouve déjà fortement affaiblie, et ce de longue date. D’abord, le conflit partisan s’est émoussé : vu du dehors du monde des professionnel.le.s, il n’y a plus, depuis longtemps, de différence significative entre la droite et la gauche, qu’il s’agisse de l’origine sociale des candidat.e.s ou de la nature des politiques menées. Partout, avec quelques nuances indéchiffrables pour le plus grand nombre, on trouve la même marchandisation des services publics, les mêmes manœuvres de séduction adressées aux capitalistes pour attirer leurs précieux investissements, le même zèle à limiter les libertés publiques, surarmer les forces de l’ordre, enfermer les pauvres et expulser les étranger.e.s. A cette neutralisation du conflit politique s’ajoute le dépérissement des partis comme moyens d’inclusion de la masse des citoyen.ne.s dans la politique partisane : le nombre d’adhérent.e.s des partis ne cesse de chuter, comme celui des syndicats ou de tous les outils habituels (comme la presse militante) de socialisation à la politique partisane. Dans ces conditions, qu’est-ce qui pourrait s’opposer à la démonétisation de cette conception de la politique ? Les tenants mêmes du pouvoir, les professionnel.le.s de la politique, semblent ne plus croire aux possibilités de l’action politique, et répètent avec diverses modulations qu’il n’y a pas d’alternative au néolibéralisme. Pourquoi alors défendre leur jeu, si de leur propre aveu, il n’a plus d’enjeu ? Cette perte de sens de la politique partisane a permis à un simple conseiller économique, un technicien ignorant des usages de la politique partisane, Emmanuel Macron, de devenir ministre puis président, en répétant à l’envi transcender les clivages et en refusant de s’appuyer sur les partis existants – il préfère en créer un, portant ses initiales, un artifice marketing bouffon qui aurait dû immédiatement lui enlever tout crédit si le système partisan avait gardé un tant soit peu de sens de sa dignité. Comment Emmanuel Macron pourrait-il, lui qui s’enorgueillissait hier d’avoir mis à genoux l’ancien système, le vieux monde, en appeler aujourd’hui à la mobilisation pour sauver ce même système et ses affrontements désormais vides de sens ? D’où son silence, la position impossible dans laquelle il est, et l’usage disproportionné de la répression face à un mouvement qui lui doit tant et qui, par bien des aspects, en est comme le reflet inversé[8].
Citoyennisme et néolibéralisme
Car c’est bien là qu’est le problème : la politique citoyenniste puise sa force dans le mécontentement justifié vis-à-vis de la politique partisane et dans une longue histoire de l’aspiration démocratique, mais aussi dans la montée en puissance des cadres de pensée du gouvernement des expert.e.s, de tous ceux qui veulent remplacer la politique (politics) par une série de mesures techniques (policies), néolibéraux en tête. Le mouvement des Gilets jaunes s’oppose aux technocrates, mais il en reprend largement la conception péjorative de la politique partisane et la manière de penser l’action publique. Le citoyennisme est le pendant démocratique du macronisme qui nous disent tous les deux qu’il faut en finir avec les idéologies : l’un comme l’autre réduisent la politique à une suite de problèmes à résoudre, de questions auxquelles répondre. Certes, il n’est pas équivalent de dire que ces questions doivent être résolues par des experts ou par les citoyens, au moyen de référendums ; le citoyennisme propose bien une démocratisation, mais c’est la démocratisation d’une conception de la politique qu’il partage avec les néolibéraux. Le monde des citoyennistes est un monde homogène, peuplé d’individus qui ressemblent à s’y méprendre à ceux des économistes néoclassiques : on les imagine aller lors des référendums exprimer leurs préférences politiques comme les économistes imaginent les consommateurs aller sur le marché exprimer leurs préférences, sans considération pour les rapports de pouvoir dans lesquels ils sont pris, les antagonismes sociaux qui les façonnent.
Mais comme chez les économistes, cette représentation de la citoyenneté est un mythe – agissant mais trompeur, agissant parce que trompeur. L’image du peuple décidant par référendum ou par le biais de délégué.e.s tiré.e.s au sort vient recouvrir l’aspect irréductiblement conflictuel de la politique, sa possibilité guerrière. Il n’y a rien ici de nouveau : l’historienne Nicole Loraux a déjà montré comment ce type de discours, dans l’Athènes démocratique, glorifiant l’unanimité du peuple et le caractère réglé de ses institutions, venait masquer l’autre aspect de la politique démocratique, le conflit (statis), faisant toujours courir le risque de la guerre civile et devant par là être oublié, refoulé[9]. Loin d’être une anomalie de la démocratie, le conflit en était une possibilité toujours présente, et s’il apparaissait, il était obligatoire pour les citoyens de choisir un parti – l’abstention, signe de passivité et d’indifférence, valait retrait de ses droits politiques. En voulant se débarrasser des partis, au sens des organisations en compétition pour le pouvoir, le citoyennisme met aussi à mal la possibilité d’expression des divisions au sein de la cité. Or l’antagonisme politique, le conflit, est aussi nécessaire à la démocratie, même authentique et déprofessionnalisée, que ne l’est l’inclusion directe de tou.te.s les citoyen.ne.s.
Il s’agit alors de sauver ce qui, dans la politique partisane, est nécessaire à la démocratie, et que la politique citoyenniste oublie : son organisation durable de la division du corps politique. Cette division est nécessaire car sans elle, les antagonismes qui traversent la société ne trouvent pas d’expression, de mise en visibilité. Il est significatif que le mouvement des Gilets jaunes, dans ses revendications, ne donne rien à voir de ces antagonismes, qu’il s’agisse des rapports de genre, de race, ou même de classe, la question de la production des inégalités et du rapport salarial étant absente, au profit de revendications consensuelles d’économie morale[10]. Il met en lumière, de la manière la plus crue, l’inanité du système partisan, et dénonce avec raison la dépossession politique que le gouvernement représentatif institue. Mais la voie qu’ouvrent les citoyennistes qui se sont engouffrés dans la brèche, Chouard en tête, en se concentrant sur le RIC, est profondément ambiguë. Certes, ils proposent une démocratisation reposant sur la déprofessionnalisation de la politique, vieille aspiration populaire qui n’a cessé d’animer les résistances au gouvernement représentatif et à la monopolisation du pouvoir par une caste. En ce sens, on peut reconnaître et appuyer les innovations que le mouvement propose[11]. Mais cette démocratisation, telle qu’elle est ébauchée dans la pratique et les revendications du mouvement des Gilets jaunes, est une démocratisation du consensus : elle met en jeu le peuple contre les gouvernants, au risque de l’oubli complet d’une autre figure démocratique, celle du peuple contre lui-même. Et au risque de faire le jeu du néolibéralisme, dont les citoyennistes partagent le refus des idéologies et de la politique partisane.
Face à cette opposition entre une conception partisane professionnalisée et une conception citoyenniste consensuelle de la politique, une autre voie existe, même si les moyens de l’arpenter restent incertains. Il s’agit de chercher à déprofessionnaliser la politique sans en éliminer le caractère conflictuel, c’est-à-dire de démocratiser le dissensus. C’est ce qu’ont essayé de faire, en 1848, les défenseurs de la République démocratique et sociale : faire entrer les masses en politique, non pour les faire voter sur telle ou telle mesure, mais pour réaliser une politique de classe, le socialisme, dans l’intérêt des prolétaires et contre la bourgeoisie[12]. Il s’agissait alors de donner une visibilité aux clivages sociaux, et non de les dissimuler derrière tel dispositif participatif, aussi démocratique fût-il. Aujourd’hui, loin d’avoir disparu, les antagonismes sociaux se sont pluralisés, ce qui constitue à la fois une ressource et un défi pour une politique émancipatrice. Les vieilles solutions socialistes, centrées sur la question de classe, participaient déjà en 1848 à l’invisibilisation de la question des femmes et de celle de la race, alors même que les voix existaient pour les mettre sur le devant de la scène[13]. La nouvelle politique émancipatrice qui reste à inventer devrait s’appuyer sur la visibilisation de l’ensemble des rapports de domination, sans hiérarchisation et en restant ouvert et réactif aux nouveaux antagonismes qui ne manqueront de se faire jour. En l’état, le mouvement des Gilets jaunes, ancré dans une conception citoyenniste de la politique, ne semble pas prendre la voie d’une visibilisation de ces antagonismes, tout en ouvrant de nouvelles possibilités démocratiques. Le renouvellement d’une politique de l’émancipation devra alors penser à la fois avec et contre ce mouvement, pour la démocratie contre l’oligarchie, mais aussi pour l’expression du conflit contre le consensus – qu’il soit technocratique ou citoyen.
[1] Ce texte fait suite à un précédent post de blog. Il doit encore plus que ce dernier à mes échanges constants avec l’historienne Célia Keren que je remercie vivement.
[2] Voir entre autres Fabien Jobard dans le Monde (https://www.europe-solidaire.org/spip.php?article47286) et Mathieu Rigouste dans Les Inrockuptibles (https://www.lesinrocks.com/2018/12/12/actualite/violences-policieres-il-y-derriere-chaque-blessure-une-industrie-qui-tire-des-profits-111151464/)
[3] Jacques Rancière, La haine de la démocratie, Paris, la Fabrique, 2005 ; Francis Dupuis-Déri, La peur du peuple : Agoraphobie et agoraphilie politiques, Montréal, Qc, Lux, 2016
[4] Pierre Bourdieu, « La représentation politique – éléments pour une théorie du champ politique », Actes de la recherche en sciences sociales, n°36‑37, 1981, p. 3‑24
[5] On reprend ici le terme de citoyennisme à la critique libertaire de la croyance dans les possibilités émancipatrices des procédures démocratiques fondées sur la figure abstraite du citoyen. Voir par exemple « L’impasse citoyenniste. Contribution à une critique du citoyennisme » (2001) et les analyses d’Alternative libertaire (http://www.alternativelibertaire.org/?Reformisme-De-quoi-le-citoyennisme)
[6] lSur l’extrême droite dans le mouvement des Gilets jaunes, voir les textes de La Horde, notamment http://lahorde.samizdat.net/2018/12/19/un-point-de-vue-antifasciste-sur-les-gilets-jaunes/
[7] Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, Paris, Flammarion, 1996
[8] Ce point a déjà été souligné par l’historienne Danielle Tartakowsky : https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/0600272685469-danielle-tartakowsky-les-gilets-jaunes-un-phenomene-miroir-du-macronisme-2227416.php.
[9] Nicole Loraux, La cité divisée : l’oubli dans la mémoire d’Athènes, Paris, Payot, 1997
[10] Voir ce qu’en dit Stefano Palombarini, qui analyse les Gilets jaunes comme un bloc anti-bourgeois : https://blogs.mediapart.fr/stefano-palombarini/blog/211218/les-gilets-jaunes-le-neoliberalisme-et-la-gauche
[11] Voir par exemple la tribune collective du GIS démocratie et participation, ou les prises de position d’Yves Sintomer et Julien Talpin. Un article de Fabien Escalona sur Mediapart (réservé aux abonné.e.s) propose un point de vue nuancé sur le RIC comme innovation démocratique https://www.mediapart.fr/journal/france/211218/le-referendum-d-initiative-citoyenne-un-outil-utile-mais-partiel-pour-enrichir-la-democratie?onglet=full
[12] Samuel Hayat, Quand la République était révolutionnaire. Citoyenneté et représentation en 1848, Paris, Seuil, 2014
[13] Michèle Riot-Sarcey, La démocratie à l’épreuve des femmes : trois figures critiques du pouvoir, 1830-1848, Paris, A. Michel, 1994 ; Silyane Larcher, L’autre citoyen : l’idéal républicain et les Antilles après l’esclavage, Paris, Armand Colin, 2014
bonjour et merci pour ce texte et le rappel sur les antagonismes
puis-je reprendre ce texte sur le blog que j’anime ?
https://entreleslignesentrelesmots.blog
Je vous remercie par avance
Didier Epsztajn
didier.epsztajn@laposte.net
Oui bien sûr pas de souci
Merci pour ce magnifique texte, qui résume merveilleusement bien la complexité du mouvement des gilets jaunes. Il ouvre des perspectives prometteuses, mais dit aussi combien le chemin sera encore long et semé d’embûches…
Cet écueil, de la volonté d’unanimité et de l’enfouissement du conflit dans les consciences, est abordé dans un livre très éclairant de Miguel Benasayag et Angélique Del Rey, « L’Éloge du Conflit », chez La Découverte / 2008. Votre lecture m’a remémoré ce texte très riche, extrêmement éclairant quant au fonctionnement de nos démocraties, qui nie donc le conflit et façonne en rapport l’individu, au détriment de la personne. Merci.
Magnifique texte à nouveau et très utile pour renvoyer dos à dos ces deux politiques, même si la voie est étroite pour la troisième… Merci de nous l’indiquer. Comme on le sait, au XIXè siècle la question des « classes dangereuses » et de leurs illégalismes n’a pas été résolue par les dames de charité. C’est cet argument d’accepter le conflit que nous avions repris avec Didier Lapeyronnie à propos des « banlieues » en 2013.
Très bonne analyse, qui a l’inconvénient d’anesthésier la perception cérébrale de l’individualité citoyenne.
Alors qu’en constatant simplement le fait que la démocratie n’est pas appliquée, l’énergie résiduelle libère la force de nos esprits, pour obtenir la démocratie participative et directe des citoyens.
Merci pour ce texte, à nouveau très efficace. Mais après l’acte 1 (une tentative de décodage sociologique du mpuvement) et l’acte 2 (une analyse des enjeux politiques au terme de cette première phase), quid de l’acte 3 et d’une esquisse plus programmatique ? J’ai l’impression que Rancière est toujours très utile pour armer la nécessité de démocratiser le dissensus, mais qu’on a pas beaucoup avancé depuis pour imaginer comment s’y prendre… 😉
Merci pour cette analyse, qui me semble fine et pertinente – à défaut d’être accessible. Quand je constate que je peine à saisir votre pensée alors que je suis en master de sociologie, je m’interroge sur la lecture que pourraient en faire les principaux intéressés.
Récemment, en repas de famille, la question des gilets jaunes a été évoquée, et ma grand-mère a disqualifié mon avis en disant « Oui mais ça c’est des idées d’intellectuels, je ne crois pas que les gens dans la rue pensent comme ça ». Et c’est une analyse qui me semble pertinente et accessible – à défaut d’être fine.
Qu’en pensez-vous ?
Désolé si ce n’est pas suffisamment accessible. C’est un billet de blog, j’écris principalement pour moi, pour me fixer les idées sur certains points, d’où le côté un peu obscur.
bonjour, est ce qu’il y a déjà une traduction en anglais de votre texte ?
Non je ne crois pas désolé
d’ailleurs, avec des camarades allemands, nous avons traduit vos deux analyses sur les GJ en allemand. on fait partie du collectif translib à leipzig: https://translibleipzig.wordpress.com/; https://www.facebook.com/translib.leipzig/.
nous sortirons une broschure, qui contient entre autres vos analyses, sur les GJ en avril.
Merci beaucoup c’est très aimable à vous !
De l’art d’éclairer les méandres embrouillées de ce mouvement! Les contradictions qui habitent ce mouvement nécessaire seront, je le pressens, sans pouvoir en donner l’analyse, sa perte! Je ne sais pas si il ne faudrait pas, au fond, revenir à des partis clairement définis, retourner à des syndicats forts (si tant est qu’ils l’aient été un jour) pour que revienne cet antagonisme essentiel à la vie de la cité.
Le texte est intéressant, mais il a tendance à reprendre la mythologie (et l’histoire) sans trop s’interroger sur les illusions des acteurs (et des commentateurs). Ce que j’ai cru bon de faire ici: http://www.exergue.com/h/2019-01/tt/gilets-jaunes.html
Bonjour, et merci pour cette intéressante contribution, qui fait parfaitement suite à votre excellent texte sur l »économie morale. Puisque vous reprenez le terme de citoyennisme (on a aussi dit « démocratisme radical ») que j’ai il y a un bout de temps déjà contribué à introduire avec le texte « L’impasse citoyenniste » que vous citez en note, je me permets de vous faire part d’une ou deux remarques. Si les similitudes avec le citoyennisme originel, celui qui s’est fixé après 1995, sont en effet importantes notamment en ce qui concerne la question démocratique, il me semble qu’aujourd’hui, après la crise de 2008 et à la fois symboliquement et significativement la victoire/défaite de Syriza en Grèce, le cycle citoyenniste (démocrate radical) est terminé. Il y a une raison simple à cela : aucune des réformes envisagées par le mouvement citoyen n’est désormais réalisable par les biais démocratiques envisagés. En outre, l’agencement de classe sur lequel il s’appuyait est sérieusement bousculé par les politiques austéritaires, qui ont accentué la coupure entre classes moyennes et CM+ sur laquelle se fondaient la structuration et les réseaux « citoyens ». De plus, la structuration générale des rapports de classe a fait voler en éclats ce qui constituait les ressources politiques et militantes de l’ancien mouvement ouvrier, auxquelles le mouvement citoyen s’est greffé à ses débuts, jusqu’à les contaminer complètement (PC, syndicats, etc.). Pour moi, la période dans laquelle nous sommes, qui reprend ces éléments de discours citoyennistes est bien plutôt effectivement populiste, voire nationale-populiste. Sur un plan politique, par exemple, l’effacement des divisions sociales effectives est bien plus un effet du populisme (le dépassement idéologique des divisions de classe dans une entité qui simultanément exprime, naturalise et neutralise les conditions de tous dans le capital sous le terme « peuple ») que du citoyennisme, qui comprenait toutes ces divisions comme autant de terrais de luttes à faire converger. Le populisme ne fait pas converger, il unifie, c’est sa fonction et son efficace propre. Il est dommage de reprendre tel quel ce terme de « populisme » dont abusent les libéraux pour défendre leur politique, mais je n’en vois pas d’autre. Bref, tout cela est développé depuis un moment déjà dans le blog « carbure », mais je serais ravi d’avoir votre avis là-dessus, si vous le souhaitez.
Amicalement,
AC
PS : Par ailleurs, il est fait mention de vos débats avec Maxime Nicolle dans le dernier billet publié sur carbure (d’où ma présence sur votre blog, pour pêcher les liens à mettre en source), si vous avez le temps et la patience d’aller y voir : https://carbureblog.com/2019/03/25/et-maintenant/
Merci pour ces commentaires très pertinents. Je suis dans l’ensemble d’accord, mais il me semble que le populisme requiert une verticalité (autour d’un leader, souvent, mais ça pourrait être un collectif) qui justement est absent, empêché, dans le mouvement en cours. Du coup, j’ai l’impression d’une résurgence citoyenniste par ce mouvement, dans une période effectivement dominée par le national-populisme unifiant. Evidemment tout ceci reste ouvert à interprétation et vous lire est très utile.
On discute du sexe des anges.
Personne à ce stade n’est en mesure de dire ce que serait une démocratie directe. Pour la raison simple que personne ne l’envisage sérieusement. C’est « utopiste ».
Une démocratie directe aujourd’hui ne serait pas identique à celles que nous connaissons depuis Athènes. Entre temps un phénomène révolutionnaire s’est produit : Internet.
Pour penser la démocratie directe, il faut penser « wikipédia », c’est à dire prendre en compte les possibilités de coopération qu’offre Internet.
Or ces possibilités sont pour l’instant invisible. Et donc il est tendant d’imaginer une démocratie directe où seul des citoyens isolés seraient actifs. Avec donc une disparition totale de l’action collective. Une sorte d’aboutissement de l’objectif des ennemis du peuple et de la nature que sont les acteurs du monde marchands, les grandes entreprises.
Et donc, dans la foulée, dénoncer une dépolitisation, une disparition des clivages, un endormissement de la population, le risque est réel.
Mais pas impossible à éviter. Il suffit de doter les citoyens du droit d’utiliser le logiciel de leur choix pour augmenter leur participation pour qu’aussitôt apparaisse la possibilité d’une division du travail, d’un partage du travail démocratique, de l’entre aide entre des citoyens dont aucun n’est compétent sur tous les sujets.
Cela peut par exemple prendre la forme d’abonnement à des recommandations de vote issues de personnes qu’on estime plus compétentes que soi-même sur certains sujets. Des recommandation de vote qu’on peut ensuite suivre automatiquement sans aucun effort en laissant le logiciel voter en son nom.
On obtient alors des unions flexibles entre des citoyens sinon atomisé. Et donc une forme nouvelle de « parti » qui vise au même effet, « l’union fait la force », mais non pas dans le cadre du système représentatif mais dans le cadre de la démocratie directe.
La démocratie directe est à la mode. Elle est attaquée par le tenants du statu quo. Elle est attaquée aussi par ceux qui en mesure les dangers sans proposer de solutions pour éviter ces dangers. La résistance au changement est le frein le plus fort contre l’innovation, une technique bien connue consiste à créer du « FUD », Fear, Uncertainty, Doubt.
Nul doute que ce FUD sera massif autant que l’aspiration à plus de démocratie « authentique ».